Jessica est étudiante et souhaite devenir professeur d’anglais. Dans le cadre de ses études elle a passé 2 ans à Tonbridge (Angleterre) en tant que professeur de français. Elle revient sur cette expérience dans cette interview.
Bonjour Jessica, est-ce que tu peux nous dire quelques mots sur toi ?
Bonjour, alors j’ai 25 ans je suis parisienne d’origine et je vis maintenant à Lille ce qui me rappelle beaucoup l’Angleterre. Je suis en M2 MEEF d’anglais, c’est la formation pour devenir prof d’anglais en collège et lycée. Je suis partie en Angleterre à la fin de ma licence LLCE d’anglais en 2012. J’y suis restée deux ans.
Tu as choisi de partir en tant que professeur de français en Angleterre, qu’est-ce qui te plait dans ce métier ?
En fait j’ai toujours voulu être prof et je faisais des études d’anglais. Je ne me voyais pas du tout apprendre l’anglais aux anglais alors le français s’est imposé de lui-même.
Ce travail m’a permis de beaucoup échanger sur la langue et les coutumes françaises avec mes élèves. Ça m’a aussi beaucoup fait réfléchir sur des choses de la vie de tous les jours qui, en tant que français, nous semblent banales voire même normales mais qui en fait sont complètement culturelles.
J’ai beaucoup appris de mes élèves pour la langue et la culture, donc, mais aussi humainement. Je suis sortie grandie de cette expérience. Je n’avais pas vraiment l’impression de faire un travail de prof mais plutôt d’échange, de découverte et de partage. Je pense avoir apporté beaucoup de notre culture à mes élèves, en tout cas j’en ai l’impression, et ils m’ont aussi apporté énormément.
J’ai appris à voir les choses différemment, à réfléchir avec des un regard nouveau. On se rend compte et on comprend tellement de chose sur soi-même quand on les explique à un étranger ! On se pose des questions auxquelles on ne pense pas du tout au quotidien du genre pourquoi on dit « le jeu en vaut la chandelle » ?
Au final, j’ai toujours voulu être prof pour cette notion de partage et d’échange. J’ai toujours pensé que j’aurai beaucoup de choses à apprendre à mes élèves et qu’ils auraient eux aussi beaucoup de choses à m’apprendre. C’est exactement ce qui s’est passé. Bien sûr, c’était assez facile puisqu’il s’agissait du but de ma présence en Angleterre : je l’avais annoncé très clairement aux élèves lors du premier cours et ils ont joué le jeu toutes l’année en me reprenant si je prononçais mal un mot par exemple. J’espère pouvoir instaurer la même chose avec mes classes en France.
Ce qui est aussi génial avec ce métier c’est que je suis à la fois très bavarde et très curieuse. En tant que prof, qui plus est prof de langue, dont le but est de parler et de découvrir l’inconnu, je suis servie !
Comment as-tu trouvé cet emploi ?
Grâce au CIEP, le Centre International d’Etude Pédagogique. Il y a un professeur référent dans presque toutes les universités françaises qui est chargé de faire la promotion de ce programme d’échange. En fait, chaque année des collèges et lycées français accueillent des assistants de langues étrangères.
Ils sont britanniques, allemands, espagnols, canadiens… c’est grâce à un partenariat international organisé par les différents pays (m’équivalent anglais du CIEP est le British Council) qui s’engagent à accueillir des assistants/prof étrangers dans les établissements scolaires qui en font la demande et en échange, ils envoient leurs propres assistants.
Je crois qu’il faut avoir moins de 25 ans pour faire partie de ce programme, et bien entendu, il faut avoir un assez bon niveau dans la langue du pays d’accueil pour pouvoir se débrouiller au quotidien. Le recrutement se fait sur dossier, on peut choisir la région où on veut aller.
Ce n’est vraiment pas compliqué et très intéressant !
Pourquoi avoir choisi l’Angleterre et pas un autre pays ?
Pour des raisons évidentes, je cherchais un pays anglophone. Ensuite, lorsque j’ai commencé les démarches administratives, j’avais seulement 19 ans, je vivais encore chez mes parents. Autant dire que j’étais un bébé.
L’Angleterre, de par sa proximité avec la France et la facilité d’accès à Paris avec l’Eurostar avait un coté très sécurisant. J’aurais pu choisir de parti en Ecosse ou en Irlande du nord, mais cela impliquait plus de moyen logistique en termes d’accès. Au fil de l’année de L3 je me suis un peu plus intéressée au Canada, aux Etats Unis ainsi qu’à l’Australie, même si j’étais assez dubitative au vu du coup du voyage (tout était à mes frais, même si ensuite on est payé pour les heures d’enseignement que l’on effectue, il faut vraiment réfléchir au coup de toute cette organisation avant que le premier salaire tombe).
Et puis lors de la réunion consacrée aux USA et au Canada, j’ai appris qu’il fallait avoir 21 au plus tard le jour du départ afin d’avoir la majorité légale. J’étais bien trop jeune, j’ai donc abandonné l’idée. Mais au final, je n’ai jamais regretté d’être partie en Angleterre.
Peux-tu nous parler de Tonbridge, la ville où tu travaillais ?
Il s’agit d’une petite ville du Kent, à environ 45 minutes de Londres en train (équivalent RER). C’est une ville vraiment typique avec une Grande Rue qui concentre tous les commerces de la ville dont les pubs, le marché le samedi matin, plusieurs écoles publiques, privées pour filles, pour garçons : les fameuses Grammar School sélectives, très nombreuse aux XIXème siècles et encore très présentes dans les régions du sud de Londres comme le Kent justement. On reconnait les élèves des différentes écoles grâce à leur couleur d’uniforme. Mes élèves étaient en rouge.
Ce qui m’a vraiment étonnée quand je suis arrivée, ce sont les briques rouges partout ! Il n’y a aussi presque pas d’immeuble en Angleterre, à part les logements sociaux qui font au maximum quatre ou cinq étages. Tout le monde vit dans une maison plus ou moins grande. Les gens ont tendance à acheter une petite maison lorsqu’ils sont jeunes et à l’agrandir au fur et à mesure avec de multiple extensions. C’est ce qu’on fait les gens chez qui j’ai vécu pendant ces deux années.
Ce qui est aussi très déroutant, c’est que tous les commerces sont fermés au plus tard à 17h30 voire même 17 heures en semaine et à 16 heures le dimanche. C’est simple, à part le vendredi soir, on ne voit plus personne dans le rue après 18 heures. Les élèves finissent l’école à 15H30/16H. Le vendredi après-midi, il n’est pas rare que les entreprises ferment plus tôt que d’habitude pour permettre aux gens d’aller au pub. Dès 17 heures, les pubs sont plein d’anglais, et vers 22 heures il ne reste plus que des étrangers. C’est d’ailleurs comme ça qu’on se reconnaissait !
J’ai d’ailleurs pu me rendre compte qu’avec ses nombreuses écoles, Tonbridge accueille beaucoup de jeunes étrangers. Certains ne rentrent jamais dans leur pays et décident de passer le diplôme des prof anglais. La moitié de mes collègues de langues dans l’école où je travaillais avaient commencé ainsi. Et ma collègue assistante d’espagnol rempilait pour sa quatrième année lorsque je suis partie.
J’oublie plein de choses. A vrai dire, je me suis habituée à toutes ces différences au fur et à mesure du coup elles me semblent normales.
Une vidéo présentant Weald of Kent Grammar School for Girls, l’école où enseignait Jessica :
Comment étaient organisées tes journées ?
Je travaillais donc dans une Grammar School pour filles. Les garçons n’arrivaient qu’au niveau lycée c’est-à-dire en première et en terminal. Pour la plupart des garçons, leurs écoles d’origine ne proposaient plus les options qu’ils voulaient suivre au lycée. C’est la même chose pour les filles qui partent dans les Grammar School for boys.
La première année, mes semaines de travail étaient vraiment très light. Le contrat d’échange prévoit qu’on ne peut travailler que 16 heures maximum par semaines. Si je me souviens bien, j’étais seulement à douze heures, ce qui laisse beaucoup de temps libre !
Je commençais à 9 heures, comme tous mes collègues et je finissais à 16h au plus tard (ce qui est parfait en hiver parce qu’avec le décalage horaire d’une heure et il fait déjà nuit !). La deuxième année était un peu plus chargée, j’étais à 22 heures/semaines parce que j’étais alors embauchée directement par l’école.
En effet les contrats ne sont pas renouvelables dans le cadre de l’échange. Mais je n’étais pas encore prête à quitter l’Angleterre et l’école m’a proposée de me garder une année de plus. Ils m’ont d’ailleurs proposée de rester une troisième année, mais je commençais alors à avoir le mal du pays. Et puis j’avais pris ma décision, je voulais vraiment être prof en France et pas en Angleterre même si j’adorais ce pays.
La première année, je ne travaillais qu’avec les premières et les terminales. J’étais chargée de les préparer à leur examen oral de fin d’année le A level pour les premières et le A+ pour les terminales. On peut dire que c’est l’équivalent du bac même si contrairement au bac ce système n’est pas national. Chaque école choisit quel type d’examen ses élèves devront passer. Une Grammar School for girls concurrente proposait le baccalauréat international. J’avais deux autres collègues de français en charge des mêmes classes : une en charge de l’examen écrit, et l’autre plutôt en charge de toute la partie grammaire (c’est fou ce que la grammaire française peut être compliquée ! je m’en suis vraiment rendue compte en l’enseignant à mes élèves).
Je voyais mes élèves individuellement une heure par semaine afin de pouvoir parler français le plus possible. Je n’avais donc pas beaucoup d’élèves, au niveau du cycle terminale toutes les matières sont des options. Les premières en présentent 4 à l’examen de fin d’année et les terminales seulement 3 ! on est bien loin de notre système français ! En contrepartie, ils avaient donc trois profs de français différents donc un bon paquet d’heures par semaine !
La deuxième année, j’ai donc suivi mes premières vers la terminale et j’ai aussi été en charge d’aider mes collègues avec les classes de quatrièmes, troisièmes et seconde (le collège et le lycée sont dans la même école). Bien sûr, j’étais toujours en charge des premières.
J’ai aussi participé à trois voyage scolaires en France au cours de ces deux années. C’était vraiment génial pour moi de pouvoir faire découvrir la France à mes élèves avec mes yeux de française !
Où étais-tu logée ? Comment as-tu trouvé ton logement ?
J’ai d’abord habité avec une famille d’expatriées pendant environ deux mois. Je les avais trouvé grâce à internet. Tout avait bien commencé et tout s’est mal fini. J’ai été déménagée en urgence par mes collègues de l’école. Même la directrice des ressources humaines s’en est mêlée. Je dois dire qu’avec le recul, c’était une première rencontre avec ma chef un peu gênante !
Mais tout est bien qui finit bien, j’ai retrouvé une autre famille (toujours par internet) vraiment adorable qui habitait à seulement cinq minute de mon école. J’y suis restée tout le reste de mon séjour et nous avons partagé beaucoup de choses. Ils m’ont énormément appris sur la vie quotidienne britannique et nous sommes toujours en contact après toutes ces années !
Sinon, la plupart des écoles se chargent elle-même de trouver un logement à leurs assistants mais cette année-là, la famille habituelle avec mon école travaillait n’a pas pu me recevoir.
En général, la colocation et vivre chez l’habitant est quelque chose de très commun chez les jeunes en Angleterre à cause du prix des loyers et de la vie en général qui est bien plus élevé qu’en France. Beaucoup d’étudiants quittent leur foyer familial pour aller vivre dans d’autres familles. C’est un peu curieux, mais il est très rare que les jeunes anglais fassent leurs études dans l’université la plus proche de chez leurs parents.
Quel est le coût de la vie à Tonbridge ?
Alors, je payais ma chambre £400/mois. A cela je devais rajouter la nourriture.
Dans ma première maison, c’était même £550 et je devais en plus prendre le bus pour aller travailler. Le billet pour 4 semaines coutait £50. Je tiens à préciser que j’habitais dans la même ville que mon école. Le trajet devait durer environ vingt minutes. C’est vraiment très cher !
J’ai même un jour vu quelqu’un recharger l’équivalent de son pass navigo annuel. Le montant affiché était de l’ordre de £3500 par l’année ! L’ami avec qui j’étais et moi n’en croyions pas nos yeux (pourtant, ça faisait déjà dix ans qu’il vivait en Angleterre). De plus, contrairement à nos pass en France, les pass anglais sont enregistrés pour un trajet bien précis. On ne peut pas vraiment décider d’aller se balader avec ce titre de transport, il faut payer une extension de voyage.
J’étais payé £800 par mois ce qui est vraiment très bien au vu du nombre d’heures que je faisais, mais il ne me restait pas grand-chose à la fin du mois. Même si je dois avouer que je n’ai pas cherché à faire des économies. J’ai un peu voyagé, je suis par exemple allée à York et à Edimbourg.
Que préférais-tu le plus dans cette expérience de professeur de français ?
Parler avec mes élèves. Apprendre d’eux et leurs enseigner mon expérience de française. Je dois avouer que nous avions un programme très précis pour leur examen mais que tout était prétexte à des discussions autres que « les programmes télé » ou « l’éducation à la santé » !
De plus, nous avions presque le même âge ce qui fait que nous pouvions vraiment échanger sur ce qui les concernait et sur leur centre d’intérêts. Nous parlions beaucoup de ce que pouvais être la vie d’un jeune en France, par exemple.
Quelles ont été les plus grosses difficultés rencontrées ?
La plus grosse des difficultés a été cette très mauvaise expérience avec cette première famille. Heureusement que j’ai été très entourée par mes collègues, mes nouveaux amis et ensuite par ma nouvelle famille d’accueil sinon je crois que j’aurai très difficilement fini l’année. A l’époque je n’avais même pas envie de revenir pour une deuxième année.
C’est cette deuxième famille qui m’a vraiment redonnée le gout à la vie anglaise. Ça a été un vrai challenge pour moi. Encore une fois, j’étais très jeune et je venais tout juste de quitter mes parents. Au final j’en suis sortie grandie et plus forte, mais ce n’était pas gagné !
Après c’était vraiment un mauvais concours de circonstance qui je pense a été accentué par la barrière culturelle puisque cette première famille n’était pas britannique ni même européenne. Par exemple, la mère ne parlait pas un seul mot d’anglais !
En ce qui concerne les anglais en général, je ne vois pas vraiment ce qui m’a dérangée.
Ah si ! les anglais sont très fermés. A part mes collègues et la famille d’accueil, j’ai eu beaucoup de difficultés à échanger avec des anglais. Je n’ai d’ailleurs pas réussi à me faire des amis parmi les britanniques. Ils ont à la fois très accueillants et très fermés en ce qui concerne leur vie privée, c’est assez curieux. C’est une difficulté que tous mes amis de Tonbrigde ont rencontrée. Au final on restait entre étrangers.
As-tu un bon souvenir à nous raconter ?
J’en ai tellement que je suis incapable de choisir ! Au final je dirais que toute cette expérience est un immense très bon souvenir !
Avec le recul que tu as aujourd’hui, qu’est-ce que cette expérience t’aura apportée personnellement ?
Cette expérience m’a vraiment fais murir. Elle m’a aussi beaucoup confortée dans mon envie de devenir prof d’anglais. J’ai aussi énormément appris sur les différences culturelles. Je réfléchis mieux à ce que peuvent penser et ressentir les gens que je rencontre, je suis aussi plus ouverte et plus tolérante. De plus à l’époque, j’avais l’impression d’avoir deux pays et deux maisons. Lorsque je revenais en France, l’Angleterre me manquait et lorsque j’étais en Angleterre, la France me manquait. Un vrai dilemme ! Maintenant, j’ai un peu moins ce sentiment parce je n’ai pas eu l’occasion de retourner en Angleterre aussi souvent que je le souhaite, mais dès que je pourrais y retournée, je sais que ce sentiment reviendra !
Et si je pouvais revenir en arrière et changer une chose, je voudrais être un peu mois timide et expérimenter encore plus la vie quotidienne !
Des conseils pour les jeunes qui voudraient partir enseigner le français à l’étranger ?
En fait, je vais plutôt m’adresser à tout le monde. Il me semble qu’enseigner sa propre culture à l’étranger n’est pas très compliqué tant qu’on a envie de le faire et d’échanger. Même pas besoin d’avoir pour projet de devenir prof ! Et pas non plus la peine de s’inquiéter pour son niveau d’anglais. Lorsque vous aurez faim, vous trouverez naturellement comment commander à manger !
Je conseillerai plutôt à tous ceux qu’ils veulent aller travailler à l’étranger de s’en donner les moyens parce que c’est une expérience incroyable humainement parlant. Sans compter que ça bétonne un CV. Lorsque je suis rentrée en France, je ne voulais pas retourner tout de suite à la fac et j’ai trouvé un emploi d’assistante d’éducation en internat trois jours après mon retour !
Si vous voulez partir à l’étranger, prenez bien le temps de préparer votre voyage, trouver un endroit sérieux ou vivre, un emploi stable qui vous permettra de vivre décemment sur place sans vous poser de trop de questions matérielles, ce serait dommage de devoir tout abandonner pour des soucis d’argent !
J’ai mis presque un an entre le moment où j’ai commencé à monter mon dossier et le moment où je suis partie. Pendant tout ce temps, j’ai dû rassurer mes parents et répondre à leurs nombreuses inquiétudes. Et aux final, je pense que c’est parce que j’avais tout prévu que je me suis aussi bien débrouillée.
Et le conseil le plus important : profitez ! Découvrez, vivez la vie locale, sortez même si vous êtes timides ! C’est la seule façon de découvrir un pays et une culture. On ne vit rien du tout depuis son canapé !
Note : toutes les images appartiennent à Weald of Kent Grammar School (page Facebook), l’école où enseignait Jessica
Publié par Bérénice
Co-fondatrice de "Jeunes à l'étranger". J'ai étudié 1 an au Japon, 1 an en Angleterre et j'ai fait un stage à Berlin dans le webmarketing.